Les Chefs d’Etat du Gabon et de Guinée Equatoriale ont signé ce mardi 15 novembre à Marrakech un compromis juridictionnel sur la question de l’île Mbanié. De quoi s’agit-il?
En droit international public, le compromis juridictionnel est un traité spécifique qui permet à des Etats de s’accorder pour reconnaître la compétence d’une juridiction, en l’occurrence ici la Cour internationale de justice (C.I.J.). Il est bon de rappeler que le fonctionnement de la Cour Internationale de Justice se fonde sur le principe de souveraineté des Etats. Autrement dit, un Etat ne peut être traduit devant cette juridiction qu’avec son accord. A cet égard, le CIJ a une procédure d’accès qu’on appelle la clause facultative de juridiction obligatoire. Elle consiste, chaque année, à proposer aux Etats d’accepter la juridiction de la Cour pour l’année sur tout différend qui viendrait à survenir entre cet Etat et un autre. Dans la pratique internationale, très
peu d’Etat souscrivent à cette clause pour éviter d’avoir à se lier les mains.
Si deux Etats n’ont pas exprimé leur consentement à être jugés par la Cour par le biais de cette clause, la Cour ne peut connaître de leur différend. Or ni le Gabon, ni la Guinée Equatoriale n’ont souscrit à cette clause. Par conséquent, pour permettre à la CIJ de juger un différend entre ces deux pays, il faut un traité spécial par lequel les deux parties reconnaissent à la CIJ la compétence pour les juger.
En quoi consiste un tel traité ?
Un compromis juridictionnel comporte habituellement un certain nombre d’éléments : la reconnaissance de la compétence de la Cour, l’objet du différend, le droit applicable et l’entrée en vigueur. Il s’agit pour les parties de préciser au juge le cadre et les moyens de son action dans le cas d’espèce.
Combien de temps a pris la négociation de ce traité ?
Beaucoup de temps pour un texte apriori aussi court ! Il convient de rappeler ici que ce compromis est signé dans le cadre de la Médiation des nations Unies sur le différend Gabon-Guinée Equatoriale. C’est le lieu de rappeler que la première médiation de l’Onu a été mise en place, en 2003, par M. Koffi Annan qui l’avait confiée à un avocat canadien, M. Yves Fortier.
Cette première médiation visait à trouver une solution diplomatique du différend tant en ce qui concerne la souveraineté qui s’exerce sur Mbanié qu’en ce qui concerne l’éventuelle zone de développement conjoint permettant de partager les ressources de la zone disputée. Cette première médiation n’a pas connu d’aboutissement heureux.
Une deuxième médiation sera mise en place par M. Ban Ki-moon, en 2008, avec comme médiateur l’ancien sous-sécrétaire de l’ONU aux affaires juridiques, le suisse Nicolas Michel. Dans cette deuxième médiation, il s’agissait principalement de négocier le compromis devant permettre aux deux Etats de faire juger ce différend par la CIJ. Au bout de dix sessions, en 2011, l’essentiel du texte était adopté à l’exception de l’article 1er relatif à l’objet du différend.
Finalement, le Secrétaire Général ban Ki-moon a désigné en 2O16 un nouveau médiateur, l’américain Jeffrey Feltman, sous-secrétaire général de l’Onu chargé des affaires politiques. L’objet de cette dernière médiation était unique : trouver un accord sur la rédaction de l’article 1er relatif à l’objet du différend. Les parties y sont arrivées en avril 2016, ce qui ouvrait désormais la voie à la signature.
Pourquoi un aussi long blocage sur ce fameux article premier pour un traité qui en
comporte moins de 10 ?
Tout simplement parce que c’est l’article fondamental, celui où l’on dit au juge ce qu’on attend de lui. En clair la question qu’on lui pose. Or pendant plusieurs années les Parties ne s’accordaient pas sur cette question. Pour faire simple, la Guinée Equatoriale estimait qu’il fallait uniquement demander à la Cour à qui appartenait Mbanié.
Le Gabon, qui exerce la souveraineté effective sur Mbanié estimait qu’accepter une telle question était déjà douter de son bon droit. Par conséquent, le Gabon a toujours considéré que cette affaire ne relève pas de la délimitation, mais plutôt du droit des traités car les deux pays ont signé, en 1974, une convention qui déterminait les frontières terrestres et maritimes autant que la souveraineté s’exerçant sur les îles et îlots de la Baie de Corisco et de la Mondah. Par conséquent, pour le Gabon, la seule question qui valait était celle de savoir si cette convention de 1974 ne répondait pas à la question soulevée par nos frères de Guinée Equatoriale.
Finalement qu’est ce qui a été retenu ?
La formule retenue est la suivante : « La Cour est priée de dire si les titres juridiques, traités et conventions internationales invoqués par les Parties font droit dans les relations entre la république Gabonaise et la République de Guinée Equatoriale s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritimes et terrestres communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Conga et Cocotiers ».
Peut-on la considérer comme satisfaisante ?
Tout à fait. C’est un heureux consensus. Et, en ce qui concerne le Gabon, notre problème était de demander à la Cour si la Convention de 1974 entre nos deux pays ne réglait pas toutes ces questions. Si la réponse est affirmative, il n’y a plus de problème. Or il n’y a problème depuis des années que parce que la Guinée Equatoriale refuse de reconnaître l’existence de cette convention signée pourtant à Bata. Il reviendra donc à la Cour de dire si cette Convention existe ou non. Pour notre part, le doute n’est pas permis et, le moment venu, nous apporteront devant la Cour
la démonstration de l’existence de cette Convention.
Peut-on dire à ce stade que le différend est entre les deux pays est terminé ?
N’allons pas trop vite en besogne. Nous venons de faire un pas essentiel. Mais nous ne sommes qu’au début d’un processus qui doit nous conduire à la Haye. A cet égard, il faudra d’abord accomplir les procédures internes inhérentes à tout engagement international de l’Etat. Autrement dit, ce traité doit recueillir l’autorisation parlementaire de ratification et ensuite la vérification de sa constitutionnalité par la Cour constitutionnelle. Après quoi le compromis entrera en vigueur quand chaque partie aura notifié à l’autre l’aboutissement de ses procédures internes. A partir de là, le compromis sera notifié au greffier de la CIJ. Dès lors, l’une ou l’autre partie pourra saisir la CIJ et l’instance débutera.
Enfin, ce genre d’affaire se règle rarement en quelques mois. Il faut donc être patient.
Néanmoins, la signature d’un tel compromis est un élément d’apaisement qui permet de stabiliser les relations entre deux Etats que la géographie condamne à vivre ensemble en réglant leur différend par des moyens pacifiques, conformément aux actes fondateurs de l’ONU comme de l’Union africaine.
Pour finir, pourquoi Marrakech pour la signature de ce compromis ?
Ce n’est pas tellement Marrakech qui doit compter ici. Ce qui compte ce sont les Nations Unies. Or, comme vous le savez, Marrakech abrite en ce moment la 22ème session de la Conférence des Parties à la Convention des Nations Unies sur les Changements Climatiques.
Le Secrétaire général des Nations Unies a voulu mettre à profit sa présence et celles des deux Chefs d’Etat à cette conférence pour procéder à la cérémonie de signature de ce compromis.
Considérez donc que, tout en étant au Maroc, nous en sommes en territoire onusien, comme si nous étions à New York ou à Genève.
PP


