Au cœur des débats sur la réforme de notre système éducatif, la question de l’uniformisation des coefficients au collège soulève autant d’espoirs que de préoccupations. Présentée comme une solution pour améliorer les performances scolaires, cette mesure mérite pourtant une analyse rigoureuse, notamment à la lumière des résultats constatés en classe de sixième.
De quoi s’agit-il ?
L’uniformisation des coefficients consiste à attribuer à chaque matière enseignée le même poids dans le calcul de la moyenne générale d’un élève, indépendamment de son volume horaire ou de son statut de discipline dite « fondamentale » ou « secondaire ». En d’autres termes, un 18 en arts plastiques pèsera autant qu’un 18 en mathématiques ou en français.
Pourquoi cette mesure ?
Le système éducatif gabonais présente un paradoxe préoccupant : un des taux de scolarisation en sixième les plus élevés de la sous-région, mais aussi un des taux de réussite les plus faibles en fin de sixième, c’est-à-dire au moment du passage en classe de cinquième.
Des simulations simples montrent que l’uniformisation des coefficients permettrait de réduire sensiblement ce taux d’échec. En valorisant équitablement toutes les disciplines, on améliorerait la moyenne générale d’un grand nombre d’élèves, ce qui semble attrayant.
Mais à quel prix ?
Des avantages indéniables
La réforme n’est pas dénuée d’intérêt :
Elle permet une prise en compte plus juste des intelligences multiples : certains élèves, en difficulté dans les matières traditionnelles, excellent en arts, en EPS ou en technologie.
Elle augmente le taux de réussite global en limitant la pression sur les matières fondamentales.
Elle renforce la motivation d’élèves souvent négligés par le système en valorisant leurs points forts.
Elle rend le calcul de la moyenne plus lisible pour les familles et les élèves.
Mais des effets pervers à ne pas sous-estimer
Derrière ce gain apparent en réussite se cache un risque réel de biais dans l’orientation. Une moyenne flatteuse, dopée par de bonnes notes dans des matières à faible enjeu pour la suite du parcours scolaire, peut masquer des lacunes en mathématiques ou en français.
Or, ces disciplines structurent encore largement l’orientation vers les séries générales ou technologiques. Résultat : des élèves sont parfois orientés vers des filières pour lesquelles ils ne sont pas véritablement préparés, ce qui peut mener à l’échec ou au décrochage.
Par ailleurs, mettre sur un pied d’égalité des disciplines qui n’ont ni le même volume horaire, ni les mêmes exigences cognitives revient à nier certaines réalités pédagogiques. Un cours de 4 heures par semaine ne peut raisonnablement pas peser autant qu’un cours d’une heure, sauf à déconnecter l’évaluation de l’apprentissage réel.
Mais surtout, dans le cas particulier du Gabon, cette réforme semble en contradiction avec les besoins réels du pays. En tant que pays en développement, le Gabon a un besoin crucial de techniciens, de scientifiques, d’ingénieurs, d’informaticiens, de professionnels de la santé, d’agronomes, etc.
Ces profils s’appuient sur des compétences solides en mathématiques, en sciences, en expression écrite et orale. En affaiblissant, même indirectement, la place de ces disciplines dans l’évaluation des élèves, on risque d’affaiblir le vivier national de compétences nécessaires au développement économique, technologique et social du pays.
Une politique de l’autruche
L’uniformisation des coefficients est une réponse superficielle à un problème structurel profond. Elle masque, sans les traiter, les véritables causes de l’échec scolaire massif en fin de sixième :
Une Approche Par Compétence (APC) mal appliquée dans le primaire, qui produit des élèves mal préparés aux exigences du collège.
Une pénurie d’enseignants, particulièrement dans les disciplines fondamentales, avec des classes surchargées et des remplacements insuffisants.
Une formation initiale et continue des enseignants insuffisante, notamment sur les méthodes différenciées et la remédiation pédagogique.
Tant que ces failles ne seront pas corrigées, toute tentative de maquiller les résultats par une manipulation des coefficients relèvera d’une politique de l’autruche, qui refuse d’affronter les vrais défis de l’école gabonaise.
Quelles alternatives proposer ?
Une réforme plus fine serait préférable, articulant équité pédagogique et réalisme scolaire :
Uniformiser les coefficients en classe de sixième uniquement, pour accompagner la transition primaire-collège en douceur.
Réintroduire progressivement une pondération différenciée dès la cinquième, en valorisant les disciplines clés pour l’orientation tout en maintenant une reconnaissance des autres matières.
Réduire de moitié les coefficients des matières fondamentales, afin d’équilibrer leur poids sans les dévaloriser.
Mettre en place un dispositif renforcé de soutien scolaire dans les disciplines fondamentales.
Et surtout, investir massivement dans la formation des enseignants, dans la pédagogie active et les pratiques de remédiation.
Enfin, orienter le système éducatif vers les réalités économiques du pays : l’école doit préparer les citoyens à répondre aux défis du développement national, pas seulement à passer dans la classe supérieure.
Conclusion
L’uniformisation des coefficients au collège, sous ses airs égalitaires, ne saurait être une solution durable aux problèmes du système éducatif gabonais. Elle agit comme un correcteur cosmétique sur un édifice fragile, risquant de produire de faux succès masquant de réels échecs.
Seule une réforme structurelle, ambitieuse et systémique, permettra de construire une école juste, efficace et réellement inclusive. Et surtout, une école qui forme les profils dont le Gabon a urgemment besoin pour bâtir son avenir
Un éducateur préfère poser les bonnes questions plutôt que donner de fausses reponses

