Monsieur le ministre, vous avez déclaré que « la fonction publique est aujourd’hui saturée et ne peut plus embaucher comme nous le souhaiterions tous. Nous voulons encourager l’entrepreneuriat et la création d’entreprises ».
Une position que nous comprenons, mais qui mérite d’être confrontée à la réalité socio-économique du Gabon et aux indicateurs internationaux.
1. Un pays riche en ressources, pauvre en emplois
Selon la Banque mondiale (2024), le Gabon dispose de l’un des PIB par habitant les plus élevés d’Afrique centrale — environ 8 500 USD en parité de pouvoir d’achat, bien supérieur à celui du Cameroun (4 500 USD) ou du Sénégal (5 100 USD).
Et pourtant, le taux de chômage national dépasse 30% chez les jeunes, selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).
Comment un pays qui exporte : plus de 10 millions de tonnes de manganèse par an (2ᵉ producteur mondial après l’Afrique du Sud), 12 millions de barils de pérole en 2023 (source : OPEP), plus de 10 millions d’hectares de forêts exploitables, et un potentiel hydroélectrique suffisant pour toute l’Afrique centrale, peut-il prétendre être “saturé” dans sa fonction publique ?
Ces chiffres démontrent que le problème n’est pas le manque de moyens, mais la mauvaise allocation des ressources humaines et financières.
2. Une administration en sous-effectif dans les secteurs vitaux
Si la fonction publique était vraiment saturée, alors :Pourquoi le Ministère de l’Éducation nationale signale-t-il un manque de plus de 6 000 enseignants dans les écoles publiques ?
Pourquoi des centres de santé ruraux et urbains, comme celui de Libongui à Koulamoutou, construits avec les fonds publics, n’ont toujours pas de personnel affecté ?
Pourquoi la DGCC (Direction générale de la concurrence et de la consommation) ne dispose-t-elle que de quelques agents pour tout Libreville, limitant les missions de contrôle sur le terrain ?
Pourquoi certaines directions régionales du commerce, de l’agriculture ou de l’agasa tournent au ralenti, faute d’effectifs suffisants ?
La vérité, Monsieur le Ministre, est que de nombreux ministères manquent cruellement de bras, mais ces postes ne sont pas ouverts à tous.
La saturation évoquée ne concerne pas la capacité de l’État à embaucher, mais plutôt le refus de recruter au-delà d’un cercle fermé.
3. Comparaison internationale : plus de population, moins de ressources, mais plus d’emplois publics
Prenons des exemples concrets : Rwanda : 13 millions d’habitants, peu de ressources naturelles, mais un État qui continue d’embaucher pour renforcer la gouvernance locale et les services publics.
Botswana : 2,6 millions d’habitants, un modèle de gestion minière, a fait de sa fonction publique un moteur de stabilité et d’efficacité.
Gabon : 2,3 millions d’habitants, 5ᵉ producteur africain de pétrole, 2ᵉ de manganèse, 1ᵉʳ en couverture forestière — et pourtant, l’État dit manquer de place pour ses propres enfants.
Le contraste est criant.
Ce n’est donc pas la saturation, mais la sélectivité et le favoritisme qui étouffent l’accès à la fonction publique.
4. “Il n’y a plus de place pour qui ?”
Car si la fonction publique est réellement saturée :pourquoi observe-t-on chaque année des intégrations discrètes d’enfants de ministres, directeurs et hauts fonctionnaires ?
Pourquoi certains bénéficient-ils de doubles affectations ou de postes fictifs, pendant que d’autres diplômés restent au chômage depuis 5, 10 voire 15 ans ?
À qui dites-vous qu’il n’y a plus de place ?
Aux enfants des familles modestes ? Aux jeunes des quartiers populaires ?
Ou seulement à ceux qui n’ont pas de “parrain politique” ?
5. Une jeunesse sacrifiée, mais lucide
Nous, jeunes Gabonais, avons compris : nous sommes les sacrifiés de cette République.
Les concours publics le prouvent.
Quand on voit 2 000 inscrits pour seulement 700 places, cela traduit non pas une “paresse” de la jeunesse, mais une urgence sociale.
Cette jeunesse qu’on veut forcer vers “l’entrepreneuriat” n’a pas été formée à cette vision.
Beaucoup n’ont ni les moyens, ni l’encadrement, ni le capital pour se lancer.
Pendant ce temps, les administrations manquent d’archivistes, de techniciens, de contrôleurs, d’enseignants et de soignants.
Et quand un autre ministre vient affirmer à la télévision qu’«il n’y a pas de Gabonais compétents dans les métiers du pétrole »,
Combien de jeunes ingénieurs pétroliers, formés ici ou à l’étranger, restent sans emploi ?
Ces propos, loin d’être anodins, discréditent toute une génération. Ce que vous faites, Monsieur le Ministre, c’est cracher sur la jeunesse, sur nous, pendant que vos enfants et vos proches, eux, sont épargnés.
6. Encourager l’entrepreneuriat, oui — mais pas en excluant
Encourager l’entrepreneuriat est une bonne chose, mais il ne peut pas devenir un prétexte pour se débarrasser d’une partie de la population.
L’État doit d’abord remplir ses missions régaliennes — éduquer, soigner, contrôler, protéger — avant de dire aux jeunes de “se débrouiller seuls”.
On ne bâtit pas un pays sur la frustration, mais sur la justice et l’équité.
Au final, la fonction publique gabonaise n’est pas saturée. Elle est mal répartie, verrouillée et sélective.
Le Gabon a les moyens d’employer et de valoriser sa jeunesse grâce à ses ressources naturelles. Mais il faut une volonté politique sincère pour que la richesse du pays profite à tous, et non à une poignée de privilégiés.
Parce qu’en vérité, il n’y a plus de place que pour certains,et trop de silence du côté de ceux qu’on écarte.
Mba

