Le mot développement résonne souvent comme une promesse. Dans les discours officiels, il est synonyme de progrès, de modernité, d’avenir radieux. Pourtant, au Gabon, ce développement tant vanté semble avoir perdu son essence première : l’humain.
Ce qui se déroule depuis des décennies dans ce pays est moins une marche vers la dignité qu’une dérive silencieuse, où la politique oublie le peuple et où le peuple, résigné, oublie de se lever.
Le problème n’est pas récent, mais seul le père Paul Mba Abessolo avait tenté d’éveiller les consciences sur la nécessité d’un modèle social centré sur la personne, notamment à travers l’idée d’une couverture sanitaire universelle et gratuite * » Écoles et hôpital cadeaux »*. Une idée noble, évidente même, dans un pays riche de ses ressources naturelles. Mais cette volonté s’est éteinte, engloutie par l’indifférence et la paresse politique. Depuis les gouvernements d’Omar Bongo Ondimba jusqu’à son fils l’idée n’a jamais traversé les esprits, et la condition du citoyen gabonais, elle, demeure la même : précaire, ignorée, méprisée, quand bien même une structure comme la CNAMGS existe.
Aujourd’hui, l’accès à la santé, à l’éducation, ou simplement à la dignité reste un luxe pour beaucoup. Le citoyen lambda, celui qui trime au quotidien pour survivre, ne trouve ni oreille attentive ni main tendue. Et pire encore, il semble s’en accommoder. Au lieu d’exiger ses droits, il mendie, parfois à travers des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, implorant la générosité de celui qui détient le pouvoir. Cette attitude n’est pas anodine : elle traduit une soumission intériorisée, une abdication collective face à l’injustice.
Comment comprendre pareil comportement, sinon par une ignorance profonde des droits fondamentaux ? L’éducation civique, la conscience politique, le sens de la citoyenneté — tout cela s’est érodé au fil du temps, remplacé par la peur, la dépendance et la résignation. L’État, de son côté, profite de cette inertie. Pourquoi changer ce qui fonctionne à son avantage ? Pourquoi instaurer un véritable contrat social quand le peuple ne réclame rien ?
Il est pourtant impossible de parler de développement lorsque l’être humain est exclu de l’équation. Les routes, les immeubles, les projets d’infrastructures ne sont que des façades si le peuple ne bénéficie ni d’une santé décente ni d’une éducation digne de ce nom. Le développement ne se mesure pas à la hauteur des tours construites, mais à la qualité de vie de ceux qui y habitent. Un pays où le peuple ploie sous la misère pendant que l’élite s’enrichit ne peut prétendre être développé.
Et c’est ici que résonne avec force l’aphorisme :
« Chaque fois que le peuple courbe l’échine, les gouvernants les dominent. »Cette phrase, à elle seule, résume la tragédie gabonaise. Car la domination n’est pas seulement politique, elle est aussi psychologique et morale. Elle s’installe quand le citoyen cesse de croire qu’il a le pouvoir de changer les choses. Elle s’enracine lorsque l’injustice devient la norme et que le silence devient vertu.
Le jour où le peuple gabonais relèvera la tête, le véritable développement commencera — non pas celui des chiffres et des bilans officiels, mais celui des consciences. Il ne s’agira plus de mendier, mais d’exiger. Non plus de subir, mais de construire. Car aucun gouvernement, si puissant soit-il, ne peut éternellement dominer un peuple éveillé.
Le Gabon a besoin d’un sursaut moral et collectif. D’un retour à l’essentiel : la dignité, la justice, la solidarité. Le développement ne sera humain que lorsque chaque Gabonais comprendra que le pouvoir n’appartient pas à ceux qui gouvernent, mais à ceux qui consentent à être gouvernés.
Mr Yann, poète-philosophe-activiste…

