Christ Kibeloh et l’impératif de la dignité : « Mon Regard sur le Monde », un manifeste pour une éthique de l’action

​Avec la publication de « Mon Regard sur le Monde » (Le temps d’un roman, Collection « Essai »), Christ Kibeloh consolide sa position d’écrivain engagé. Ce cinquième ouvrage dépasse le cadre de l’essai traditionnel pour se présenter comme un manifeste hybride et structurant, qui articule la critique sociale et politique à la puissance émotionnelle du récit. L’ouvrage s’inscrit dans une démarche visant à transformer l’observation passive du chaos mondial en un impératif d’action individuelle et collective.

​L’œuvre est scindée en deux parties distinctes mais complémentaires. La première, « Réflexions et Regards », déploie la charpente idéologique de l’auteur, tandis que la seconde, « Histoires de Vies – Nouvelles », ancre ces réflexions dans des destins fictionnels, prouvant que la résilience est une victoire choisie.

​L’Âme sans passeport : Une éthique contre la division

​Au cœur de la pensée de Kibeloh se trouve le concept de l’« Âme sans passeport », qu’il définit comme le point de départ de toute éthique globale. Ce concept vise à déconstruire les illusions de la division que sont les marqueurs identitaires (couleur de peau, origine géographique, drapeau) pour insister sur la reconnaissance de l’Humanité fondamentale. L’auteur y dénonce la « paresse intellectuelle » qui permet de s’arrêter aux façades superficielles et, par extension, la « séparation indolore » offerte par la modernité, qui transforme la souffrance lointaine en « information consommable et jetable ».

​La thèse centrale de l’essai repose sur la réhabilitation de l’Ubuntu (philosophie africaine signifiant « Je suis parce que nous sommes ») comme l’antidote à l’individualisme forcené des sociétés capitalistes. Kibeloh ne se contente pas d’une approche théorique ; il l’érige en impératif éthique absolu pour la survie spirituelle et sociale, suggérant que la richesse individuelle n’a de sens que si elle finance la dignité collective.

​Critique du système et Malédiction des Ressources

​L’analyse de Kibeloh prend une dimension sociopolitique plus acérée lorsqu’il aborde l’Afrique, son continent d’origine. Il y expose la réalité de la « Malédiction des Ressources », décrivant comment l’opulence géologique (coltan, cobalt, etc.) se mue en fardeau, alimentant des conflits d’intérêt gérés par des acteurs mondiaux et facilités par des « élites locales corrompues » – les fameux « ventrus ». Pour l’auteur, la solution réside dans l’érection d’un rempart de souveraineté africaine exigeant la transparence radicale dans les contrats miniers et une coopération globale basée sur l’idée que l’Afrique est un partenaire incontournable pour l’équilibre de la planète, notamment en raison du rôle du Bassin du Congo comme « puits net de carbone planétaire ».

​L’essai s’attarde également sur l’« Exode Silencieux » de la jeunesse, analysé comme une « hémorragie de compétences » perpétuant le sous-développement, et non comme un simple mouvement migratoire. Kibeloh appelle ainsi à un État de droit en Afrique qui valorise l’effort et la compétence pour endiguer cette fuite.

Le récit comme moteur de rédemption
​La transition vers la fiction dans la deuxième partie n’est pas un simple changement de genre ; elle est une nécessité démonstrative. À travers ses nouvelles, Kibeloh met en scène des personnages ordinaires confrontés à l’extraordinaire de l’injustice.

​L’histoire de Yasmine, victime de harcèlement scolaire, est utilisée pour souligner l’échec des adultes (parents, éducation) à voir au-delà du statut social, faisant du silence une forme de complicité. L’auteur utilise l’acte de pardon du père de Yasmine pour illustrer le choix ultime de la lumière contre la haine.

​De même, les parcours de Marc (trahi en amour et dans ses ambitions) et de Lorez (le footballeur renonçant à la vengeance familiale et politique) incarnent le concept que la victoire est dans le choix de l’engagement. Lorez, en particulier, devient le symbole de l’unité et de la paix en transformant son serment de vengeance en une force morale inattaquable contre la corruption et en un plaidoyer pour l’union nationale par le sport.

​En définitive, « Mon Regard sur le Monde » est un appel dénué de victimisation. Il tire les leçons d’un passé complexe et douloureux – sans taire la responsabilité africaine dans la traite par exemple – pour éclairer un chemin d’unité et de progrès partagé.

L’ouvrage, fort de son ancrage personnel (dédicaces à sa famille, héritage de double culture), se veut une « révolution des esprits » et une invitation au lecteur à transformer son regard en un acte de volonté.

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