« Le choix des intérims ministériels par le Président Oligui Nguema – entre rigueur institutionnelle, stratégie politique et enjeux géostratégiques » par Dr Alain Boulingui Moussavou

La décision du président de la République, le Général Brice Clotaire Oligui Nguema, de nommer des ministres intérimaires après la démission de plusieurs membres du gouvernement fraîchement élus députés, suscite de nombreuses lectures.

Sur les plans juridique, institutionnel, philosophique et géostratégique, cette démarche n’est pas seulement un acte administratif : elle révèle une conception du pouvoir et une stratégie d’État dans un contexte de refondation nationale.

1. Une décision conforme au droit, mais politiquement orientée

La Constitution gabonaise, dans son article 73, pose clairement le principe d’incompatibilité entre les fonctions ministérielles et un mandat parlementaire. La démission des ministres élus est donc juridiquement justifiée. En nommant des intérimaires, le président respecte la continuité de l’État : un ministère ne peut rester sans responsable, au risque de paralyser l’action publique.

Cependant, le droit ne dit pas tout. Il autorise l’intérim, mais n’impose pas qu’il soit prolongé. Le choix d’un intérim — plutôt que la nomination immédiate de nouveaux titulaires — traduit une volonté politique : maintenir une certaine flexibilité et garder le contrôle dans une période où les lignes politiques se redessinent.

2. Une stratégie institutionnelle maîtrisée

Dans la philosophie des pouvoirs publics, l’État n’est pas seulement un ensemble de textes : c’est une dynamique, une manière de gouverner. En désignant des ministres non élus pour assurer les intérims, Oligui Nguema :évite tout conflit d’intérêts entre l’exécutif et le législatif ; garantit l’obéissance de ministres intérimaires qui ne sont pas pris dans les ambitions parlementaires ; préserve sa marge de manœuvre dans la constitution du futur gouvernement ; maintient une discipline interne, en montrant qu’aucun ministre, fût-il élu, n’est au-dessus des règles.

Cette pratique s’inscrit dans une vision hobbesienne du pouvoir : l’État doit conserver une cohérence interne, car toute dispersion de loyautés fragilise l’ordre public.

3. Une lecture de philosophie politique : entre légalisme et réalisme

D’un point de vue philosophique, cette décision s’inscrit dans une tension classique :le légalisme, qui commande le respect strict du texte constitutionnel ; le réalisme politique, qui impose d’adapter les décisions aux équilibres internes, au rapport de force et à la stabilité du pays.

Dans la logique de Machiavel, un prince doit savoir faire respecter la loi tout en conservant les leviers du pouvoir. L’intérim est un outil parfait : il respecte la règle, mais permet une recomposition réfléchie du gouvernement.

La méthode rappelle également la pensée de Max Weber sur le rationalisme administratif : maintenir la continuité, éviter le vide, conserver la légitimité bureaucratique.

4. Un moment stratégique dans un contexte géopolitique sensible

La décision ne peut être dissociée du contexte géostratégique :

Le Gabon est engagé dans une transition où sa crédibilité internationale est observée.

Les partenaires régionaux et occidentaux évaluent la cohérence de la transition et la stabilité gouvernementale.

Dans la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), le Gabon joue un rôle stabilisateur, notamment face aux crises régionales (Tchad, Cameroun anglophone, RCA).

Montrer un gouvernement discipliné, respectueux des institutions et capable d’appliquer sans hésitation les règles constitutionnelles envoie un signal rassurant :

1. Aux investisseurs, qui redoutent les instabilités ministérielles.

2. Aux partenaires diplomatiques, pour qui la continuité de l’État est un gage de fiabilité.

3. Aux organisations régionales, qui scrutent les progrès institutionnels du pays.

Dans une Afrique centrale traversée par des transitions et des recompositions politiques, la solidité institutionnelle est devenue un argument géopolitique.

5. Les limites et les interrogations

Toutefois, plusieurs points méritent une vigilance critique :

La durée de l’intérim : un intérim qui s’éternise devient un pouvoir faible et un ministère ralenti.

La légitimité politique : un intérimaire n’a pas la même autorité qu’un ministre titulaire, ce qui peut freiner l’action administrative.

Le risque de centralisation excessive : trop d’intérims peuvent concentrer le pouvoir exécutif au sommet, au détriment de l’équilibre gouvernemental.

Ces interrogations soulèvent un enjeu fondamental : si le geste respecte la Constitution, il ouvre aussi la voie à un gouvernement où la loyauté personnelle du ministre intérimaire peut primer sur la responsabilité politique.

En somme, un acte juridiquement fondé, politiquement stratégiques et philosophiquement révélateur.

Le choix d’Oligui Nguema est normal au regard du droit, cohérent sur le plan institutionnel, mais aussi hautement stratégique dans le jeu politique gabonais. Il permet de respecter la Constitution tout en gardant la main sur l’équilibre interne du pouvoir exécutif.

Sur le plan philosophique, cette décision s’inscrit dans la logique d’un État qui cherche à allier légitimité juridique, efficacité administrative et réalisme politique.

Elle témoigne d’une compréhension fine des mécanismes du pouvoir dans un contexte de transition, et permet au Gabon d’afficher une maîtrise institutionnelle appréciée dans un environnement géopolitique incertain.

Dr Alain Boulingui Moussavou, philosophe métaphysicien, morale et politique, spécialiste éducation paix

Une réflexion sur “« Le choix des intérims ministériels par le Président Oligui Nguema – entre rigueur institutionnelle, stratégie politique et enjeux géostratégiques » par Dr Alain Boulingui Moussavou

  1. Votre analyse offre une lecture solide, cohérente et remarquablement articulée de la décision présidentielle, en reliant avec finesse droit, institutions, philosophie politique et géostratégie. Elle met en lumière la rationalité d’État qui sous-tend cette démarche et en éclaire les implications profondes pour la transition. Cependant, une nuance critique pourrait interroger davantage la frontière entre stratégie et centralisation du pouvoir : si l’intérim garantit la continuité, il pourrait aussi réduire la transparence du processus décisionnel et limiter le débat démocratique sur la composition gouvernementale. Ouvrir cette réflexion permettrait d’enrichir le dialogue sur l’équilibre entre efficacité étatique et pluralisme institutionnel au sein d’une transition appelant inclusivité et confiance publique.

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