Il y a quelques années, Jean de Dieu Moukagni Iwangou avait été radié du corps de la magistrature pour avoir choisi de faire de la politique, conformément à l’article 1er de la Constitution de l’époque. Cet article garantissait à chaque citoyen la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, d’expression, de communication, ainsi que la libre pratique de la religion, sous réserve du respect de l’ordre public.
Malgré un recours gracieux adressé à Madame la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Premier Vice-Président du Conseil de la Magistrature, recours visant la décision n°1 du 30 juin 2014 qui considérait les faits reprochés comme une faute disciplinaire et prononçait sa révocation sans suspension de pension, Moukagni Iwangou contestait la validité même de la procédure dont il avait fait l’objet.
In limine litis, il faisait valoir qu’il avait été jugé en l’absence de toute dénonciation préalable par le Garde des Sceaux, seule pièce permettant à la fois la saisine régulière du Conseil de discipline et la notification des charges.
Sur la saisine irrégulière du Conseil de discipline
Feu Moukagni Iwangou rappelait que, conformément aux articles 58 et 63 de la loi n°12/94 du 16 septembre 2014 portant statut des magistrats, toute procédure disciplinaire doit impérativement être fondée sur une dénonciation formelle et écrite du Ministre de la Justice. Celle-ci doit être versée au dossier et communiquée au magistrat mis en cause.
Or, disait-il :
l’ensemble du dossier disciplinaire qui lui avait été notifié par Maître Nzengue, huissier instrumentaire mandaté par le Secrétaire Général du Ministère de la Justice, ne comportait aucun acte de dénonciation ;
seuls deux actes datés du 16 juin 2014 figuraient au dossier :
1. la décision n°00175/MJGS portant désignation d’un intérimaire ;
2. la décision n°00176/MJGS maintenant l’interdiction d’exercer les fonctions de Directeur Général de l’École de la Magistrature ;
aucun de ces documents ne constituait une dénonciation au sens de la loi ;
si une telle dénonciation avait existé, elle aurait nécessairement été mentionnée dans l’exploit de l’huissier et communiquée au magistrat mis en cause, au titre du respect des droits de la défense.
Pour Moukagni Iwangou, cette absence caractérisait une irrégularité substantielle, rendant la procédure nulle pour violation des droits de la défense et pour défaut de saisine régulière du Conseil de discipline.
Sur le fond : une fausse interprétation de la loi
Subsidiairement, il rappelait que sous l’empire de la Constitution du 26 mars 1991, la liberté d’opinion consacrée à l’article 1er, alinéa 2 était un droit inviolable et imprescriptible, opposable à tous.
Ainsi, aucune loi inférieure ne pouvait sanctionner l’exercice d’un droit constitutionnel. Prononcer une sanction disciplinaire pour un simple engagement politique constituait, selon lui, une fausse interprétation de la loi, d’autant que la jurisprudence gabonaise reconnaissait le droit d’opinion des magistrats, tout en organisant les situations d’incompatibilité autrement que par la radiation.
Ses conclusions
Il sollicitait donc :
l’annulation pure et simple de la décision du 30 juin 2014 ;
la reconnaissance de son droit à rappel des traitements suspendus ;
à titre subsidiaire, la nullité de la sanction, l’acte incriminé relevant d’une liberté publique constitutionnelle.
Mais jusqu’à son décès, aucun Ministre de la Justice n’a donné suite à ses recours.
Les derniers mois
Alors que la maladie gagnait du terrain et que son état s’aggravait, il adressa, le 24 juin 2024, un courrier au Président de la Transition et de la Restauration des Institutions. Là encore, aucune décision concrète ne fut prise. On lui aurait simplement répondu :
» Le Président a dit que cela va se faire. «
Après tant d’années d’ignorance, de non-droit et de mépris ressenti, comment demander aujourd’hui à sa famille d’accepter un hommage qui, pour elle, ne serait qu’un simulacre de reconnaissance ?
Osons espérer qu’à titre posthume, les autorités gabonaises restaureront ses droits, réhabiliteront sa dignité et répareront enfin l’injustice dont il a été victime.
Ce ne serait que justice.
Muane ILIK

