Réponse à la stigmatisation ethnique : L’initiative METANDOU MIA MEKAMBO

La formule péjorative « C’est nous les Bakota », qui s’est d’abord déployée dans les espaces de sociabilité numérique, illustre un phénomène désormais bien décrit par les sciences sociales : la transmutation d’un mème en instrument de stigmatisation collective. À mesure qu’elle s’est diffusée, cette expression a perdu son apparente innocuité pour se constituer en opérateur de disqualification symbolique, franchissant la frontière entre l’humour mimétique et la violence identificatoire. Ce glissement sémantique, par lequel le ludique sert de prétexte au dénigrement ethnique, s’inscrit dans ce qu’Erving Goffman nommait le travail de stigmatisation, c’est-à-dire la production active d’attributs disqualifiants destinés à assigner un groupe à une position inférieure dans la hiérarchie sociale.

Dans ce cas précis, la cible de ce processus est la communauté bakota, pourtant dépositaire d’un patrimoine culturel et d’une profondeur historique qui contredisent frontalement les représentations dégradantes que l’espace numérique tend à amplifier. Ce paradoxe entre la richesse anthropologique d’une culture et la caricature numérique qui cherche à l’avilir , révèle une dynamique plus large : la manière dont les environnements connectés réactivent, sous des formes nouvelles, les mécanismes d’exclusion symbolique analysés par Pierre Bourdieu dans le cadre de la violence douce ou « violence symbolique ». La saturation des réseaux sociaux par des signifiants dépréciatifs produit un effet d’adhésion mimétique, où la répétition vaut validation, et où l’insulte, par son omniprésence, acquiert la force d’un récit.

Face à cette dérive, la réponse élaborée par la plateforme METANDOU MIA MEKAMBO s’inscrit dans une logique de contre-narration , notion chère aux études postcoloniales , consistant à opposer à la réduction identitaire une production discursive fondée sur la valorisation, la complexité et la reconnaissance. En mettant en exergue les trajectoires exemplaires de personnalités kota, cette initiative réintroduit dans l’espace public un principe de réalité susceptible de neutraliser l’économie affective des discours stigmatisants. Elle s’inscrit ainsi dans une stratégie de reconquête symbolique où l’excellence individuelle devient la réfutation la plus éloquente du stigmate collectif.

L’histoire culturelle des Bakota conforte cette démarche. Loin d’être une communauté marginale ou repliée sur elle-même, les Bakota constituent l’un des pôles civilisationnels majeurs du nord-est gabonais. Leurs figures de reliquaire en bois et en métal , parmi les artefacts africains les plus étudiés en anthropologie de l’art , ont inspiré les avant-gardes européennes du XXᵉ siècle et continuent de nourrir la recherche contemporaine sur les systèmes esthétiques et spirituels d’Afrique centrale. La densité symbolique de ces objets, leur fonction rituelle et leur perfection formelle témoignent d’une sophistication culturelle incompatible avec le registre de dérision auquel l’espace numérique tente aujourd’hui de les réduire. La simple évocation de ce corpus suffit à rappeler que l’ethnie bakota est porteuse d’une historicité qui échappe aux tentatives de simplification injurieuse.

L’enjeu n’est toutefois pas uniquement mémoriel. La montée de la stigmatisation en ligne appelle une réponse normative, méthodique et juridiquement fondée. Les sciences de l’information soulignent en effet que la visibilité algorithmique confère aux messages haineux un potentiel de dissémination exponentiel lorsque ceux-ci provoquent la réaction émotionnelle recherchée. D’où la nécessité de s’abstenir de toute interaction directe avec ces contenus afin de ne pas alimenter leur circulation. La documentation systématique des infractions, le recours aux mécanismes de signalement, la non-relégation des messages discriminatoires et, en cas de nécessité, la saisine des autorités compétentes s’inscrivent dans une logique de régulation citoyenne de l’espace numérique, indispensable pour prévenir la normalisation de l’hostilité ethnique.

Ce travail de reconquête symbolique trouve un écho particulier dans l’excellence des contributions kota à la vie intellectuelle, juridique et politique gabonaise. L’axiome « la compétence n’a pas d’ethnie », souvent mobilisé pour souligner l’universalité des critères de l’expertise, trouve aujourd’hui une incarnation saisissante dans le fait qu’un ressortissant kota assure l’intérim de trois portefeuilles ministériels stratégiques, une responsabilité qui procède exclusivement du mérite et de la confiance institutionnelle. Dans le champ judiciaire, la présence récurrente de magistrats bakota au sein des plus hautes juridictions confirme la profondeur d’un capital juridique transmis de génération en génération. Dans le champ académique, les travaux du Dr Franck Jacob Hombahiya et du Professeur Nzegho Dieko, tout comme l’héritage littéraire fondateur de Robert Zotoumba, premier romancier gabonais, témoignent d’une inscription longue de la communauté kota dans les dynamiques de production du savoir.

Cet ensemble de faits n’est pas anecdotique : il incarne une forme de réponse épistémologique à la violence symbolique, montrant que la meilleure réfutation du préjugé demeure la démonstration irréfutable de la valeur, du savoir et de la compétence. L’excellence, ici, n’est pas une posture morale mais un argument scientifique : elle démontre l’inanité des entreprises de stigmatisation.

En définitive, la banalisation de la stigmatisation identitaire en contexte numérique constitue une menace sérieuse pour la cohésion nationale. En remodelant les imaginaires sociaux par l’ironie dévoyée et la dérision ciblée, elle fragilise le pacte civique qui fonde la possibilité même du vivre-ensemble. Les tensions ainsi alimentées risquent, si elles ne sont pas contenues, de sédimenter durablement dans les structures perceptives de la société, au détriment du pluralisme et de l’unité nationale. La vigilance collective, soutenue par une action coordonnée de l’État, de la société civile et des institutions éducatives, apparaît dès lors comme une exigence fondamentale. Préserver la qualité du débat démocratique passe nécessairement par la réaffirmation d’un principe simple mais essentiel : aucune identité collective ne peut être réduite à un même sans que ne vacille, en retour, l’équilibre symbolique de la nation tout entière.

METANDOU MIA MEKAMBO

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