« Les causes de l’absentéisme dans l’Administration publique gabonaise et les mesures pour l’éradiquer » par Georges-Bernard Ankaro

L’absentéisme dans l’administration publique gabonaise, mis en lumière par la visite surprise du président Brice Clotaire Oligui Nguéma au ministère de la Fonction publique le 15 décembre 2025, ne saurait être réduit à une simple question de discipline individuelle. Les réactions de nombreux citoyens et agents publics montrent qu’il s’agit d’un phénomène complexe, largement enraciné dans des dysfonctionnements structurels, organisationnels et humains. Si certaines absences relèvent de comportements délibérés ou frauduleux, une part significative est liée à des contraintes systémiques, à la démotivation et à un malaise profond au sein de la fonction publique. Identifier précisément ces causes racines est indispensable pour proposer des réponses durables, au-delà des menaces de sanctions ou de licenciements massifs, qui risqueraient d’accentuer la défiance et l’épuisement sans résoudre les problèmes de fond.

I. Principales causes de l’absentéisme

1. Problèmes de transport et de mobilité

Les fonctionnaires gabonais sont confrontés à des coûts de transport élevés, à la rareté des taxis et à des embouteillages chroniques, particulièrement à Libreville . Ces contraintes logistiques rendent difficile une arrivée régulière et ponctuelle au travail, même pour des agents de bonne foi, et contribuent à des absences perçues à tort comme de la négligence individuelle.

2. Conditions de travail dégradées

Les administrations souffrent d’une saturation chronique des bureaux, parfois aggravée par un système de rotation forcée lié au manque d’espace et à la pléthore de personnel. Cette surcharge engendre fatigue, stress et absences. À cela s’ajoute un déficit criant en équipements : manque de fournitures de bureau, ordinateurs obsolètes, voire inexistants, serveurs défaillants, connexions internet et électricité instables ralentissent le traitement des dossiers tout en alimentant la démotivation. La promiscuité et l’inconfort des espaces de travail renforcent ce sentiment d’épuisement professionnel.

3. Blocages administratifs et financiers

De nombreux dossiers restent en souffrance, dépendant de validations interministérielles, notamment avec le Budget et les Finances, souvent bloquées pour des raisons de trésorerie. Les fonctionnaires eux-mêmes subissent des retards dans le paiement de leurs salaires, avancements ou régularisations administratives. Cette précarité institutionnelle fragilise leur engagement et peut conduire à des absences répétées, mais aussi à un désengagement progressif.

4. Présence de fonctionnaires « fantômes » et fraudes sur la paie

L’absentéisme est également causé par des pratiques frauduleuses anciennes. De nombreux audits ont mis en évidence la présence d’agents inscrits sur les listes de paie sans occuper leur poste depuis des mois, voire des années, certains résidant à l’étranger sous couvert de motifs non vérifiés. Par exemple, un audit au ministère de l’Éducation nationale a identifié 756 fonctionnaires fantômes en octobre 2025, percevant indûment des salaires pour des raisons médicales, familiales ou touristiques non justifiées. Au total, plus de 13 000 agents publics ont été signalés en situation d’abandon de poste lors d’audits nationaux menés en 2024-2025, continuant à percevoir des rémunérations et alourdissant la masse salariale. Ce phénomène, qualifié de véritable gaspillage des ressources publiques, fausse les statistiques de présence, alourdit la masse salariale et alimente un sentiment d’injustice parmi les agents réellement en poste.

5. Démission silencieuse et épuisement professionnel

Une part croissante de l’absentéisme relève d’une « démission silencieuse », marquée par un désengagement progressif sans rupture formelle avec l’administration. Ce comportement s’explique par l’épuisement professionnel, le manque de reconnaissance, la rigidité des procédures et l’insuffisance des rémunérations face au coût de la vie. Les absences liées à des maladies de longue durée, à des situations familiales complexes ou à des évacuations sanitaires non anticipées accentuent ce phénomène.

6. Facteurs de démotivation et instabilité institutionnelle

L’absence de réformes concrètes malgré les annonces répétées, le retard dans la digitalisation effective des procédures et les incohérences perçues dans l’action publique nourrissent une frustration durable. À cela s’ajoute un climat d’incertitude institutionnelle hérité des transitions politiques récentes, renforçant la méfiance envers l’administration et une culture d’impunité où les sanctions sont rares ou inégalement appliquées.

II. Mesures prioritaires pour éradiquer l’absentéisme

Pour traiter ces causes multiples, une approche globale s’impose, combinant réformes structurelles, modernisation de la gestion des ressources humaines et restauration de la confiance.

1. Améliorer la mobilité des agents

Il est urgent d’investir dans la réhabilitation des routes et la fluidification du trafic urbain. La mise en place de transports collectifs dédiés (bus ministériels ou navettes en partenariat avec le secteur privé) ainsi que des subventions ciblées pour les frais de déplacement domicile-travail contribueraient à réduire les absences involontaires.

2. Renforcer les conditions de travail et le bien-être

La modernisation des équipements (informatique, serveurs, connexions internet et à un réseau électrique fiables) est indispensable pour redonner de l’efficacité et du sens au travail administratif. Le réaménagement des espaces, la réduction de la promiscuité et le recrutement progressif de personnel d’appui permettraient d’alléger la charge de travail. Parallèlement, la mise en place de programmes de santé au travail, incluant un suivi médical et psychologique, aiderait à prévenir l’épuisement professionnel.

3. Assainir la gestion des ressources humaines

Des audits réguliers et transparents doivent être menés pour identifier et éliminer les cas de fonctionnaires « fantômes ». L’introduction de systèmes biométriques ou numériques de suivi des présences, couplés à la dématérialisation de la paie, permettrait de détecter rapidement les anomalies. Les radiations, lorsqu’elles sont justifiées, doivent respecter les procédures légales, tout en ouvrant la voie à l’intégration de jeunes diplômés.

4. Accélérer la digitalisation et la modernisation administrative

La mise en œuvre effective de l’ordonnance n°0006/PR/2025 du 11 août 2025 sur la réglementation de la digitalisation en République Gabonaise est un levier central. La numérisation des dossiers accumulés, la formation des agents aux outils numériques et le recrutement de profils spécialisés en TIC amélioreront la fluidité des procédures. Un système de suivi des présences doit être associé à des mécanismes incitatifs, tels que des primes de présence ou de performance. Lors de sa visite du 15 décembre, le président a insisté sur l’accélération de cette digitalisation pour traiter les situations administratives en souffrance.

5. Promouvoir le dialogue, la justice et la transparence

Un dialogue social régulier avec les syndicats et les agents est indispensable pour identifier les blocages concrets. La création de conseils de discipline indépendants et la publication des résultats des audits et sanctions renforceraient la crédibilité de l’action publique. Enfin, un plan global de réforme de la fonction publique, assorti d’objectifs mesurables et d’un suivi public, permettrait de restaurer durablement la confiance.

En conclusion

L’absentéisme dans l’administration publique gabonaise apparaît ainsi comme le symptôme d’un double malaise : d’un côté, des dysfonctionnements structurels et humains profonds ; de l’autre, des pratiques frauduleuses qui minent l’équité et l’efficacité du service public. Son éradication ne peut reposer uniquement sur des mesures punitives ou des gestes symboliques. Elle exige une stratégie cohérente, mêlant assainissement rigoureux, investissements dans le capital humain et modernisation de l’administration. Appliquées avec constance, transparence et dialogue, ces réformes peuvent transformer une crise de gouvernance en opportunité de refondation durable de la fonction publique au service des citoyens.


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