Nous nous dirigeons vers un moment de vérité pour l’Université gabonaise, et plus largement pour l’ensemble du système éducatif de notre pays.
L’annonce de l’absence d’admis gabonais au Concours d’Agrégation du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) 2025, dans les disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion, a provoqué une vague d’émotions, allant de l’indignation à des commentaires parfois excessifs. Elle touche principalement la Faculté de droit et des sciences économiques (FDSE) de l’Université Omar Bongo ainsi que le Centre universitaire des sciences de la santé (CUSS).
Or, au-delà de l’émotion légitime, une question importante demeure trop souvent éludée. Pour le Géographe français Paul Vidal de la Blache, « la géographie est la science des lieux, non celle des hommes isolés, mais des hommes en relation avec les lieux ». Autrement dit, aucun fait ne peut être compris sans son contexte.
À ce titre, il est frappant de constater que nombre de nos compatriotes, au Gabon comme dans la diaspora, y compris ceux qui n’ont que le niveau d’études « dibita », c’est‑à‑dire le CP1 comme on le dit en Ipunu au quartier Dourougni à Mouila, dans le Sud du pays, se focalisent sur le symptôme visible : le « zéro admis », la dernière place, la supposée humiliation, plutôt que sur les racines du problème.
Dans quels contextes pratiques les jeunes enseignants-chercheurs préparent-ils un concours aussi exigeant ? Avec quels moyens matériels et documentaires ? Sous quelles contraintes pédagogiques et administratives ? Avec quel encadrement scientifique, quelle politique de recherche, quelle reconnaissance institutionnelle du temps long nécessaire à la maturation intellectuelle ?
Les questions susmentionnées forment le cœur du problème de l’université gabonaise
L’échec observé à Dakar ne saurait donc être réduit à une faiblesse individuelle des candidats. Il interroge un système universitaire confronté à la surcharge des enseignements, à l’insuffisance chronique des financements de la recherche, à l’accès limité aux revues scientifiques internationales, à la rareté des séminaires de haut niveau et, parfois, à une gouvernance académique davantage tournée vers la gestion de l’urgence que vers une stratégie intellectuelle de long terme. Comment atteindre l’excellence scientifique lorsque la recherche devient un luxe exercé sur le temps personnel, dans des bibliothèques sous-dotées et sans infrastructures adéquates ?
Nous devons également clarifier un point fondamental. Parler d’« échec de l’université gabonaise » est, en soi, une formulation abusive. En effet, le Concours d’agrégation CAMES est limité à certaines disciplines et de facultés. La majorité de l’université publique gabonaise, en particulier la Facultés de lettres et sciences humaines (FLSH) de l’Université Omar Bongo ou l’Université des sciences et techniques de Masuku à Franceville, suit la voie longue de la carrière universitaire, distincte de l’agrégation.
Pour le concours du CAMES 2025, seuls trois candidats gabonais étaient inscrits. L’un provenait de l’Université publique Omar Bongo de Libreville, à savoir Me Francis Nkéa, ancien pilier du régime déchu d’Ali Bongo, et les deux autres étaient issus de l’Université Internationale de Libreville, fondée par Marie‑Madeleine Mborantsuo, ancienne Présidente de la Cour constitutionnelle de 1991 à 2023.
Les médias publics, privés et les plateformes numériques passent sous silence cet état de fait. Cela étant, nous devons relativiser les discours trop généraux et d’examiner avec objectivité les conditions réelles de préparation au CAMES, tant au niveau individuel qu’institutionnel.
Signalons également que Me Francis Nkéa est Maître assistant et avocat. Il consacre la plus grande partie de son temps à son cabinet de Libreville, ce qui soulève une interrogation légitime sur le moment où il a pu préparer de manière sérieuse le concours du CAMES.
À titre comparatif, la répartition des candidats par pays au concours d’agrégation CAMES 2025 fait ressortir de fortes disparités. Le Bénin a présenté 20 candidats, dont 10 admissibles, soit un taux de 50 %. Le Burkina Faso comptait 26 candidats, avec 16 admis, correspondant à un taux de réussite de 61,54 %. Le Cameroun, avec 61 candidats, a enregistré 22 admis, soit 36,07 %. Le Congo-Brazzaville a présenté 7 candidats pour 1 admis, soit 14,29 %, tandis que la Côte d’Ivoire, avec 14 candidats, a compté 3 admis, soit 21,43 %. Le Gabon, avec seulement 3 candidats, n’a enregistré aucun sous-admissible, aucun admissible et aucun admis, soit un taux de 0 %. Ces chiffres montrent que les pays les plus performants sont aussi ceux qui disposent de politiques universitaires plus structurées, d’un encadrement scientifique solide et d’une tradition institutionnelle de préparation à l’agrégation CAMES.
C’est tout aussi regrettable que les réussites soient passées sous silence. En juillet 2024, l’Université gabonaise a obtenu près de 60 % de réussite à d’autres évaluations du CAMES, sans que cela ne provoque le moindre commentaire. Une telle asymétrie dans le traitement médiatique alimente une vieille stratégie de dénigrement de l’Université publique gabonaise, souvent au profit d’universités privées présentées comme des alternatives miraculeuses.
En réalité, dans les années 1990, l’Université Omar Bongo était un centre d’excellence reconnu en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Ce passé n’a rien d’un mythe ; il demeure un repère historique qui atteste que l’excellence devient possible lorsque les conditions de travail sont réunies.
Les vrais problèmes de l’Université gabonaise sont ailleurs. Le dernier grand bâtiment construit à l’U.O.B remonte à 1994, l’amphithéâtre Pr. Célestin Nguemby-Mbina. Et celui qui est en construction en face de l’ambassade du Cameroun est à l’arrêt, faute de financement. De nombreux enseignants et chefs de département ne disposent pas de bureaux. Les subventions de l’État arrivent de manière aléatoire. La digitalisation des universités reste embryonnaire. Les laboratoires sont insuffisamment financés. Les tensions entre étudiants, parfois liées au manque de salles et d’équipements, traduisent une crise matérielle autant qu’institutionnelle. La rixe survenue entre les étudiants de la Faculté de droit et ceux de la Faculté des sciences de l’UOB, provoqué par le manque d’une salle, en est un fait révélateur et un exemple inquiétant.
Ce débat ne doit pas se limiter à l’université. Il concerne l’ensemble du système éducatif gabonais, de la maternelle au doctorat. Comment expliquer qu’un pays de moins de deux millions d’habitants, doté de ressources naturelles considérables, compte encore des écoles, des collèges et des lycées sans toilettes, sans cantines, sans internats, avec des classes surchargées ? Comment comprendre, en outre, l’existence de salles de cours dépourvues d’équipements pédagogiques élémentaires, tels que des tableaux fonctionnels, des vidéoprojecteurs, des systèmes de sonorisation, des connexions Internet stables ou encore des sièges et tables adaptés, comme on en trouve couramment dans les salles et amphithéâtres des pays sérieux ? Les collègues écrivent sur les tables avec de la craie, faute de tableaux et de matériel adapté. Cela abîme les salles et peut aussi être mauvais pour la santé. À cela s’ajoutent des salles de professeurs parfois insalubres, sans toilettes, sans ordinateurs, sans eau, sans climatisation, sans électricité, et dépourvues de tables ou de bureaux de travail, indignes d’un environnement éducatif moderne. Comment peut-on concevoir le développement de notre pays lorsque la formation scientifique et technique y est marginalisée, que les filières scientifiques au baccalauréat sont en déclin et que la planification éducative est défaillante ? À titre d’exemple, sur les 23304 candidats au baccalauréat de 2024, 77 % ont obtenu un baccalauréat A et B, ce qui laisse apparaître ainsi un déséquilibre au profit des filières non scientifiques.
Pour corriger la trajectoire mentionnée ci-dessus, le Gabon doit miser sur la formation de scientifiques, d’ingénieurs, de spécialistes des PME, de l’immobilier, de l’automobile (et non des métiers de revente), d’experts de nos matières premières, ou encore de concepteurs de drones exploitant l’abondance de nos ressources naturelles. À l’instar de l’Italie qui valorise ses atouts comme la tomate et les pâtes, le Gabon pourrait transformer ses richesses en opportunités de développement. D’autres modèles de développement sont à copier. La Corée du Sud est devenue un leader mondial de la technologie et de l’automobile grâce à une éducation scientifique de pointe. Le Maroc a également réussi à se positionner dans les énergies renouvelables et le secteur aéronautique. En Afrique subsaharienne, le Rwanda investit massivement dans les technologies de l’information et le tourisme haut de gamme, tandis que l’Afrique du Sud développe son secteur minier et technologique. L’Éthiopie est un autre exemple africain de diversification stratégique à travers le développement de son industrie aéronautique et de son hub aérien autour d’Ethiopian Airlines, devenu un acteur incontournable du transport aérien en Afrique et à l’échelle internationale.
L’analogie avec le sport est instructive. On ne bâtit pas une équipe nationale compétitive sans championnat structuré ni centres de formation. Il en va de même pour l’éducation et l’université. On ne peut atteindre l’excellence sans investir dans la durée, les infrastructures, les femmes et les hommes, et dans un cap stratégique précis et concis.
In fine, le concours d’agrégation du CAMES 2025 ne doit être perçu ni comme une fatalité ni comme une honte nationale, mais comme un signal d’alarme. Il appelle moins à l’indignation qu’à la responsabilité. Il nous oblige à traiter les causes plutôt qu’à dénoncer les effets, et à reconstruire patiemment ce qui a été fragilisé. C’est précisément ce à quoi s’attelle la Ve République, sous la conduite du Président Brice Clotaire Oligui Nguema, depuis son élection en avril 2025. Évitons toute désinvolture à l’égard de l’Université gabonaise, car nous pourrions en payer le prix plus lourdement encore. Cessons d’abandonner notre système éducatif et engageons enfin un débat sérieux et constructif.
La Bible, dans le livre des Proverbes 4,7, nous enseigne : « La sagesse est la chose la plus précieuse ; acquiers la sagesse, et avec tout ce que tu possèdes acquiers l’intelligence. »
C’est peut-être là l’enseignement le plus urgent pour l’avenir de l’université gabonaise.
Dr Jean-Aimé Mouketou, Professeur qualifié TC8 – Ministère de l’Éducation, Nouvelle-Écosse, Canada, Conseiller stratégique national UDB – Diaspora Gabon

