L’avenir incertain du football gabonais

Depuis près de dix ans, le championnat national a cessé d’être une institution pour devenir une intermittence. Il s’interrompt, réapparaît par fragments, puis retombe dans le silence. Un football sans calendrier stable, sans continuité, sans mémoire collective. Un football sans corps.

Et pourtant, sur la scène internationale, le Gabon continue d’exister. La sélection nationale dispute ses rencontres. Les clubs sont engagés dans les compétitions continentales. Des arbitres gabonais officient à l’étranger. Des dirigeants occupent des fonctions au sein de la CAF et d’autres instances. L’image est là. La vitrine tient. Mais derrière, la maison est vide.

Comment un football privé de fondations peut-il encore persister ?

La réponse n’a rien de mystérieux. Elle est brutale. Le Gabon joue avec des pièces rapportées. L’équipe nationale repose majoritairement sur des joueurs expatriés, souvent issus de championnats secondaires ou de divisions peu exposées. Le vivier local, faute de compétition régulière, s’est lentement asséché. Ce n’est pas un choix tactique. C’est une logique de survie. Sans championnat continu, il n’y a ni rythme collectif, ni détection durable, ni progression structurée. On ne forme plus des joueurs. On les rassemble à la hâte, au gré des convocations.

Le paradoxe devient vertigineux dès que l’on observe les finances. La Fédération gabonaise de football perçoit des ressources régulières : allocations de la FIFA, appuis de la CAF, subventions de l’État. L’argent existe. Il est versé. Il circule dans des cadres officiels, documentés.

Mais sur le terrain, presque rien n’en témoigne. Pas de championnat stable. Pas d’infrastructures visibles à l’échelle nationale. Pas de centres de formation structurants. Pas de politique claire en direction de la jeunesse. Aucune lisibilité pour les acteurs du football, aucune transparence accessible aux supporters.

Les infrastructures elles-mêmes racontent cet échec. L’ancien stade situé en plein cœur de Libreville, qui a englouti des financements colossaux, est aujourd’hui à l’abandon. Là où devaient résonner les cris des supporters, s’installent désormais l’insécurité et les trafics. Le symbole est violent : un équipement public majeur, déserté par le sport, repris par le désordre.

Quant aux stades construits ou rénovés à Libreville, Oyem et Port-Gentil à l’occasion des Coupes d’Afrique des Nations organisées par le Gabon, ils ne répondent plus à leur vocation initiale. Pensés comme des leviers durables de développement sportif, ils sont sous-utilisés, mal entretenus, parfois fermés, rarement intégrés dans un projet cohérent de football national. Des cathédrales coûteuses, sans vie régulière.

À la place, nous avons une chronique de crises sans fin. Gouvernance instable. Conflits internes. Suspensions successives. Dossiers financiers opaques. pédophilie Le football gabonais ne fait plus parler de lui par ses performances, mais par ses scandales. Il ne rassemble plus. Il divise. Il s’épuise dans ses propres turbulences.

Ce désordre a un visage humain. Celui d’une jeunesse sans trajectoire. Les talents n’ont pas disparu. Ils émergent encore dans les quartiers, sur les terrains de fortune, lors des compétitions scolaires. Mais sans championnat pour les révéler, sans encadrement pour les protéger, sans perspective pour les retenir, beaucoup renoncent. D’autres tentent une émigration précoce, souvent sans filet, livrés à des intermédiaires peu fiables. Le football, qui pouvait être un ascenseur social, se transforme en pari risqué.

Aujourd’hui, le football gabonais tient encore debout. Mais il ne construit plus rien.

Un sport ne se développe pas à coups de convocations de circonstance, de subventions sans contrôle ou de postes honorifiques. Il se bâtit dans la durée, par la régularité des compétitions, la clarté financière, la confiance des acteurs et la transmission entre générations.

Sans championnat, le talent s’évapore. Sans transparence, l’argent se dissout. Sans vision, même ce qui semble tenir finit par céder.

La crise a désormais dépassé le cadre sportif. Elle est politique. Lorsque des financements publics et internationaux alimentent un système sans résultats structurels tangibles, l’État ne peut plus se retrancher derrière l’argument de l’autonomie sportive. Cette autonomie n’est pas un droit à l’opacité. Elle implique, au contraire, le contrôle, l’exigence de résultats et l’obligation de rendre compte.

Une rupture s’impose. Conditionner les financements à des objectifs clairs et vérifiables. Rendre publics les budgets et leur exécution. Rétablir un championnat national comme colonne vertébrale non négociable. Assainir la gouvernance par des règles stables et crédibles. Protéger les jeunes joueurs par un encadrement juridique et sportif solide.

Le football n’est pas un simple divertissement. Il est un fait social total. Un espace de cohésion. Un réservoir d’espoir pour toute une génération.

Le Gabon peut encore donner l’illusion de tenir sans vraiment jouer. Mais un pays ne se construit pas sur ses apparences. Il se bâtit lorsqu’il accepte de regarder le vide en face — et de décider, enfin, de le combler.

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