« Dignité nationale, justice sociale et réalité économique : Remettre le débat à l’endroit » par Yannick Ndong Meyo

Restaurer la dignité d’un peuple est un objectif noble, mais la dignité ne se décrète pas, elle se construit et surtout, elle a un coût. Les problèmes sociaux des Gabonais, santé, éducation, logement, énergie, emploi, se résolvent avec des ressources financières conséquentes, et bien gérées. Aucun État au monde n’a amélioré significativement les conditions de vie de sa population en étant structurellement endetté et en refusant de mobiliser ses propres ressources.

Il faut donc avoir le courage de dire les choses clairement : un État providence ne fonctionne pas sur la gratuité généralisée, mais sur la solidarité nationale organisée à travers l’impôt, les taxes et les cotisations sociales.

Le modèle social a un prix : l’exemple des pays développés

En France, les allocations sociales (RSA), l’assurance maladie, les aides familiales ou au logement ne tombent pas du ciel. Elles sont financées par des prélèvements obligatoires élevés : impôts, TVA, cotisations sociales payées par les salariés, les indépendants, les artisans, les commerçants. Même le plombier, l’électricien ou le petit entrepreneur cotise à la sécurité sociale, à la CAF, aux retraites. On ne bénéficie du système que parce qu’on y contribue.

Vouloir « vivre comme en France » tout en refusant d’en adopter les mécanismes fondamentaux est une contradiction curieuse. On ne peut pas exiger des services publics de qualité européenne avec un niveau de contribution quasi inexistant.

La réalité gabonaise : une équation budgétaire déséquilibrée

Le Gabon compte environ 2,5 millions d’habitants. Sur cette population, environ 400 000 fonctionnaires et assimilés supportent l’essentiel des cotisations sociales et fiscales. Le reste de l’économie est largement informel, c’est un fait. Lorsqu’il est question d’élargir l’assiette contributive, y compris aux commerçants, aux vendeuses des marchés, aux professions libérales, le refus est immédiat. Pourtant, ce sont les mêmes qui réclament la gratuité des soins, des plateaux techniques modernes et une prise en charge intégrale.

Cette posture n’est pas soutenable. On ne peut pas refuser de cotiser et exiger simultanément des prestations coûteuses.

Un mandat présidentiel est de sept ans, donc un bilan sérieux s’évalue à mi-mandat ou à la fin du mandat, jamais au début. L’exemple du Bénin est éclairant : les résultats reconnus du président Patrice Talon ne sont apparus qu’après près de dix années de réformes continues. Certainement pas après un an ou deux.

Le Gabon sort de quatorze années de détresse profonde. L’impatience des citoyens est compréhensible, mais l’insulte, l’arrogance et la manipulation de l’opinion ne produisent aucune solution. Les réformes, elles, se construisent dans le temps.

En deux ans de transition, le Gabon a franchi des étapes majeures : un référendum constitutionnel, une nouvelle Constitution, des élections, et désormais, l’entrée dans une phase structurante de réformes institutionnelles, économiques et sociales.

Peu de pays en transition ont réussi un tel cycle en six ans. Cela signifie que le Gabon est objectivement en avance. De nombreuses lois sociales, judiciaires et économiques restent à voter : c’est précisément le cœur du travail en cours.

Il existe une contradiction profonde dans le discours ambiant : on réclame des réformes, mais on s’oppose à celles qui demandent des efforts, on dénonce les difficultés (coupures, pénuries), alors que d’autres peuples vivent parfois 3 à 6 jours sans électricité, on exige des résultats immédiats, tout en rejetant les mécanismes nécessaires pour les financer.

On veut le Ngori, le beurre, l’argent du beurre, le lait de la vache et la crémière. Or, aucun système social au monde ne fonctionne sur cette logique.

Une partie de la diaspora, aujourd’hui très active sur les réseaux sociaux, participe peu à l’effort national réel. Les insultes et l’invective remplacent l’analyse et la proposition. La critique est légitime, mais elle devient stérile lorsqu’elle est déconnectée des réalités économiques et institutionnelles.

Dans un État de droit, le Président de la République met en place des mécanismes de lutte contre la corruption et veille à leur application. Il ne met personne en prison et ne libère personne. Ce rôle revient à la justice, qui statue sur la base de preuves. Elle est indépendante.

En France comme ailleurs, une arrestation ne dépend ni du Président Macron ni d’aucun chef d’État, mais des faits et des preuves. Le Gabon souffre historiquement d’un déficit de dénonciation et de preuves, parce que corrompus et corrupteurs ont longtemps tissé des liens de protection mutuelle.

On ne peut pas transformer le Gabon sans transformer nos mentalités, on ne peut pas réclamer un État fort sans accepter de le financer, on ne peut pas exiger la dignité sans en assumer le prix collectif.

Le vrai combat n’est pas seulement politique ou institutionnel. Il est aussi culturel, civique et moral. Changer le pays commence par accepter l’effort, la responsabilité et la solidarité nationale.

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