« Tribune : L’immunité parlementaire face au temps : Au-delà de la zone grise, la continuité de l’Etat de droit » par WEMO

L’analyse de l’honorable Jean Valentin Leyama soulève une question cruciale de notre architecture institutionnelle : la temporalité de la protection du parlementaire. Si le constat d’une vulnérabilité entre la proclamation des résultats et l’installation du Bureau est exact en pratique, une lecture croisée de la doctrine constitutionnelle et de la jurisprudence permet de nuancer cette fatalité.

L’enjeu n’est pas seulement de protéger l’individu, mais de garantir l’indépendance de la fonction législative.

1. La nature de la proclamation par la Cour Constitutionnelle : Un acte créateur de droitL’argument selon lequel le mandat ne débuterait qu’à la mise en place du Bureau mérite d’être confronté au principe de la souveraineté du suffrage.

* La Jurisprudence classique : Dans de nombreuses démocraties parlementaires, la proclamation des résultats par le juge constitutionnel n’est pas une simple formalité, mais l’acte qui confère la qualité de parlementaire.

* L’argument de droit : Si l’on considère que l’élu n’a aucun attribut avant l’installation du Bureau, on vide de sa substance la décision du juge électoral. La séance de mise en place du Bureau est un acte de fonctionnement interne (Règlement intérieur), tandis que l’élection est un acte de dévolution du pouvoir (Constitution). Le droit constitutionnel moderne tend à considérer que l’immunité (notamment l’inviolabilité) doit courir dès l’acquisition de la qualité d’élu pour éviter que l’exécutif ne « choisisse » ses opposants avant même qu’ils ne siègent.

2. Le cas des Ministres sortants : La théorie du « Mandat suspendu »

Le texte de l’honorable Leyama souligne la vulnérabilité des ministres démis. Or, la jurisprudence administrative et constitutionnelle (notamment sur l’incompatibilité des fonctions) enseigne que le mandat parlementaire n’est pas annulé par la nomination au Gouvernement, il est suspendu.

* L’automatisme implicite : Si le remplacement par le suppléant cesse dès la fin des fonctions ministérielles, le droit à réintégrer le siège est un droit acquis.

* Jurisprudence comparée : Dans plusieurs systèmes de droit civil, on considère qu’un élu ne peut être privé de sa protection par une manœuvre de calendrier. La « course contre la montre » judiciaire évoquée pourrait, dans un État de droit exigeant, être qualifiée de détournement de procédure ou de fraude à la loi, si elle vise manifestement à contourner les prérogatives du Parlement.

3. L’immunité : Une protection de la fonction, pas un privilège de l’individuIl est essentiel de rappeler que l’immunité parlementaire n’est pas une impunité. Elle est une prérogative de la Chambre et non un droit subjectif de l’élu.

* Si un élu est « cueilli » dans cette zone grise, cela pose un problème de séparation des pouvoirs. L’action judiciaire, bien que légitime en cas d’infraction, ne doit pas entraver la constitution d’un pouvoir législatif complet et indépendant.

* Proposition de réforme : Pour supprimer cette « zone grise », la loi organique pourrait être précisée : l’immunité devrait couvrir toute la période allant de la proclamation des résultats jusqu’à la fin effective du mandat, sans interruption par le passage au Gouvernement (principe de continuité de la protection).

Conclusion

La « zone grise » décrite par Jean Valentin Leyama est une réalité procédurale, mais elle ne devrait pas être une fatalité juridique. La protection de l’élu est le rempart de la voix du peuple. Permettre que des manœuvres chronologiques dictent qui peut ou ne peut pas siéger au Parlement est une fragilité que le juge constitutionnel, gardien des équilibres, pourrait être amené à censurer en consacrant le principe de l’antériorité de la protection sur l’installation formelle.

Pour enrichir cette tribune, nous pouvons mobiliser des arguments de droit comparé et des principes généraux du droit qui servent souvent de boussole aux juridictions constitutionnelles. L’enjeu est de démontrer que la « zone grise » est une anomalie démocratique qui peut être résorbée par une interprétation téléologique (selon le but recherché) de la Constitution.

4. L’argument de la « Saisine de plein droit » (Jurisprudence comparée)

Dans de nombreux systèmes juridiques inspirés du modèle continental (comme en France ou dans plusieurs pays d’Afrique francophone), la jurisprudence du Conseil ou de la Cour Constitutionnelle établit que la qualité de parlementaire s’acquiert dès la proclamation des résultats.

* Le principe : La séance plénière d’installation n’est qu’une modalité d’organisation interne. Elle ne « crée » pas le député ; elle constate sa présence.

* Jurisprudence : Le Conseil Constitutionnel français (par exemple, décision n° 81-932 AN du 26 juin 1981) a déjà laissé entendre que la protection s’attache à la fonction dès l’élection. Si la justice pouvait arrêter un élu entre son élection et sa première séance, elle s’arrogerait le droit de modifier la composition du Parlement décidée par le peuple souverain.

5. La théorie de l’effet utile de l’immunité

Un argument de droit puissant consiste à invoquer l’effet utile. Si l’immunité n’existe que pendant les sessions ou après l’installation formelle du Bureau, elle perd sa fonction première : empêcher l’Exécutif d’utiliser l’appareil judiciaire pour écarter des opposants avant qu’ils n’exercent leur pouvoir de contrôle.

* Le passage au Gouvernement suspend l’exercice du mandat mais pas la titularité du siège (qui reste aux mains de l’élu, bien que le suppléant siège).

* Dès lors que le décret de fin de fonctions ministérielles est signé, l’élu recouvre « mécaniquement » sa protection, car il redevient le titulaire actif d’un mandat que le peuple lui a confié.

6. Le principe de la continuité de la protection parlementaire

Pour répondre à l’idée de « cueillir » un ministre sortant, on peut opposer le principe de non-interruption de la protection étatique.

* En tant que Ministre, l’individu bénéficie d’un privilège de juridiction (Cour de Justice de la République ou Haute Cour).

.* En tant que Député, il bénéficie de l’immunité.

* L’idée qu’il existerait une « fenêtre de tir » de quelques heures ou jours où aucune protection ne s’appliquerait est une absurdité juridique. La transition entre deux régimes de protection doit être instantanée pour préserver la séparation des pouvoirs.

7. Vers une « Immunité de destination »

On pourrait plaider pour une jurisprudence de l’immunité de destination : dès lors qu’un citoyen est légalement destiné à siéger (parce qu’il est proclamé élu ou parce qu’il quitte le Gouvernement pour reprendre son siège), il doit être traité avec les égards dus à sa fonction future certaine. Toute action judiciaire brutale durant cette phase pourrait être interprétée comme un abus de pouvoir visant à faire échec à la volonté populaire.

Synthèse pour votre conclusion :

L’interprétation de l’honorable Leyama, bien que rigoureuse sur le plan du Règlement Intérieur, place la forme (la séance plénière) au-dessus du fond (le suffrage universel). Une vision moderne du droit constitutionnel impose que le temps de la justice ne puisse pas être instrumentalisé pour court-circuiter le temps de la democratie.

Proposition de Recommandation Législative

L’objectif est de modifier les dispositions relatives à la prise de fonction pour consacrer le principe de rétroactivité de la protection ou de continuité de la qualité d’élu.

1. Amendement du Règlement Intérieur (Valeur de Loi Organique)Il s’agirait d’ajouter un alinéa spécifique à l’article traitant du début du mandat :

Article X (nouveau) : « Sans préjudice des formalités d’installation du Bureau, le mandat parlementaire prend effet dès la proclamation officielle des résultats par la Cour Constitutionnelle. L’immunité parlementaire, dans ses composantes d’irresponsabilité et d’inviolabilité, est acquise à l’élu dès cette proclamation. »

2. Sécurisation du retour des Ministres

Pour le cas spécifique des membres du Gouvernement mentionné par l’honorable Leyama, la modification suivante permettrait d’éviter toute « capture » judiciaire :

Article Y (nouveau) : « Le député nommé membre du Gouvernement dont les fonctions cessent reprend l’exercice de son mandat de plein droit. Entre la date de cessation de ses fonctions ministérielles et sa réinstallation formelle en séance plénière, il bénéficie de la continuité de la protection juridictionnelle attachée à sa qualité d’élu, empêchant toute mesure restrictive de liberté sans l’autorisation préalable du Bureau de la Chambre. »

Analyse des apports de cette réforme

Pour bien visualiser le changement de paradigme, voici comment la protection serait redistribuée dans le temps :

Pourquoi cette modification est-elle juridiquement solide ?

* La primauté du Juge Constitutionnel : En rattachant l’immunité à la proclamation des résultats (acte juridictionnel) plutôt qu’à l’installation du Bureau (acte administratif), on sanctuarise le choix des électeurs contre les aléas de l’agenda parlementaire.

* La fin de l’instrumentalisation du calendrier : Si la loi organique stipule que la protection est immédiate dès la sortie du Gouvernement, la « course contre la montre » judiciaire perd sa base légale. Tout procureur se verrait opposer une fin de recevoir immédiate au nom de la continuité des pouvoirs publics.

* La jurisprudence du « Mandat virtuel » : Cette réforme s’appuie sur la doctrine du mandat virtuel, qui considère que l’élu n’est jamais un simple citoyen entre deux étapes de sa vie publique, mais un dépositaire de la souveraineté nationale dont la protection doit être ininterrompue.

Conclusion de la Tribune

En répondant à Jean Valentin Leyama, nous ne défendons pas des individus, mais la stabilité des institutions. La « zone grise » n’est pas une fatalité juridique, mais une lacune textuelle qu’une Cour Constitutionnelle audacieuse ou un législateur prévoyant peuvent combler pour éviter que les parquets ne deviennent les arbitres de la composition du Parlement.

WEMO, Doctorant en Sciences de gestion option Management des organisationsLibreville le 30 Decembre 2025

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